Qui êtes-vous ?
- ym
- un passant irrésolu,ou un photographe somnanbule...allez savoir...ou allez voir...
Archives du blog
dimanche 29 août 2010
samedi 14 août 2010
Stances naïves pour Arshile Gorky
1
Un jour d'hiver commence un conte noir et blanc
Un jour de neige en Arménie mil neuf cent seize
Un jour déraciné un jour inachevé
Et la charrue là-bas sur le mont Ararat...
Sur les rives du lac de Van près de Korkhom
Les loups faisaient un cercle autour de la région
Un môme escaladait les toits de son village
Tout près de l'Arbre et du Jardin des Voeux Comblés
Les loups sont des soldats d'une autre religion
Le nombre de fusils le nombre de victimes
Noirs chiffons immobiles sur la blancheur abstraite
Et la charrue là-bas sur le mont Ararat...
Une image pour mille ou un million d'images
Un survivant pour mille ou un million de crânes
Comment nommer l'arrachement de tout un peuple
Comment montrer ce qui n'est plus un paysage
Et comment mesurer la douleur de l'absence
Et la distance entre genèse et génocide
Longtemps la neige tisse un linceul in memoriam
Et la charrue là-bas sur le mont Ararat...
2
quelques saisons plus tard dans le roman
mal arrimé de Manoug Adoyan
un océan plus loin voici New-York
le quai d'Ellis Island la passerelle
l'exil qui se termine en haut des marches
vers le grand hall de l'administration
la Porte d'Or ouvrant sur l'Avenir
la foule est alignée par rangs de quatre
et se présente à l'enregistrement
là un adolescent peut-être un ange
peut-être un criminel comment savoir
sinon en le photographiant sur place
tout d'abord il doit répondre aux questions
d'un fonctionnaire adjoint du paradis
- votre nom votre pays d'origine?
-je n'ai plus de nom et plus de patrie
mon nouveau nom sera Gorky Arshile
-avez-vous une maladie ou une tare?
-je ne sais pas si je suis fait comme vous
mon nombril est disons un trou de balle
-connaissez-vous quelqu'un ou une adresse?
-êtes-vous anarchiste ou communiste?
-je suis cousin d'un révolutionnaire
et le jumeau d'un prince en Géorgie
-pourquoi venez-vous aux Etats-Unis?
-mon intention est de représenter
par le moyen de traits et de volumes
toute chose invisible en Amérique
sur le bateau blanc il a lu l'histoire
et la géographie du nouveau monde
tout en couleurs sur des lithographies
les troupeaux de bisons dans la poussière
le général Custer et Sitting Bull
l'assassinat de Lincoln au théâtre
le grand chapiteau du cirque Barnum
le môme sait au moins ce qu'il possède
cent-vingt dollars tout neufs dans la ceinture
quelques dessins au fond de la valise
un portrait de sa mère en tablier
il vient d'avoir seize ans sur le dallage
du port national de New-York city
il cueille un brin d'herbe et se met en route...
que voit-il donc maintenant ce jeune homme
les yeux ouverts sur une aube verticale
panorama d'une utopie debout
échafaudage autour de l'avenir
centre du monde ou fin de l'horizon
la statue blanche au flambeau lui indique
ce que l'exil attend de plusieurs peuples
qui est-il au fond cet adolescent
lui qui se prend pour la moitié d'un prince
déambulant ainsi depuis des heures
portant les vêtements d'une autre vie
allant vers une adresse et un destin
est-ce un touriste ou un artiste en herbe
est-ce un passant inconnu de lui-même
maintenant le jeune homme a faim et soif
il s'arrête alors devant la vitrine
et les étals parfaits d'un italien
puis il dévore un soleil rouge en tranches
c'est la chair et le jus miraculeux
de quelque religion universelle
la révélation d'un message unique
c'est une religion qui vous commande
d'entrer à votre tour dans la légende
l'éternité ou la modernité
il faut choisir -dit la publicité
et le doigt d'oncle Sam sur vous pointé
et la démarche ad hoc des autochtones
et les néons partout qui vous étonnent
lui il recrache au loin tous les pépins
dans le but d'ensemencer quelque chose
O vie nouvelle O forêt où se perdre
toute formule apporte à l'existence
le sentiment d'être moins misérable
le fleuve devenant un nouveau fleuve
nous devenons un jour ce que nous sommes
Une fanfare arrive et lui explique
les deux temps de la marche en Amérique
la loi binaire la loi démocratique
le vrai le faux tout droit sur partitions
le bien le mal suivez donc la musique
et la production la consommation
tout ça s'exprime à grands coups de cymbale...
3
un jour il vole une jambe de femme une jambe artificielle
un ascenseur l'emmène au sommet du plus haut building
il a envie de voir lui aussi le panorama
depuis le temps qu'il veut parler à Dieu et à ses anges
il cherche un mot pour s'exprimer la traduction d'un mot
et le vent tourne avec lui les pages du dictionnaire
que faire alors de la prothèse et du besoin d'amour
les survivants ont une étrange idée de la hauteur
pour eux sans doute le O est une voyelle sacrée
lui il salue New-York cette utopie aux tons bleuâtres
le temps s'immobilise un jour de mil neuf cent vingt-quatre
quelqu'un photographie des funambules sur un chantier
ce sont des ouvriers indiens de la tribu Mohawk
allant venant sur des poutrelles tout au-dessus du vide
il salue aussi ses parents et sa jeune soeur Vartoush
il faut qu'elle vienne le rejoindre le plus tôt possible
une envie de hurler son nom là au dernier étage
la jambe devient cheval le cheval se transforme en cri
les piétons tout en bas font semblant de ne rien entendre
la foule de Manhattan a toujours autre chose à faire
la vie la vie est illisible comme une planche à billets
je ne suis pas un héros comme le Christ sauveur du monde
je ne suis qu'un porteur de valise un homme du destin
je voulais être ou un grand artiste ou un grand escroc
-confie-t-il en passant d'une biographie à l'autre-
qu'on me demande la lune et je dessine une échelle
il m'arrive d'entrevoir vers minuit le profil du diable
et son reflet très moustachu dans un auto-portrait
ce type-là parle trop beaucoup trop -dit Jackson Pollock
et puis son oeuvre est trop picassoïde -ajoute un autre
qui porte un verre de whisky et une bague à la main
mais laissons un peu les marchands de couleurs du Village
vomir figuration et abstraction au nom de la critique
un jour le pape André Breton lui trouve un air hybride
la crête irrésolue du coq se heurte à l'absolu
l'homme au destin travaille à l'indéfinition des arts
l'homme aux surnoms porte la blouse et s'essuie au hasard
il grandit chaque nuit sur la table d'un paysage
il se risque au-dessus du lyrisme et de quelques ismes
au-dessus du mouvement et des lumières cosmopolites
quoi dire exactement de la solitude à New-York
et quoi dire d'un pinceau qui combat sur une toile...
4
devant lui c'est la découverte
devant lui une flaque d'eau
moitié orange et moitié verte
do ré mi fa sol la si do
au temps du jazz sur le trottoir
au temps de la phonographie
de la ci-né-ma-to-gra-phie
le peintre oublie le blanc et noir
pour une entrée à deux dollars
Chaplin vaut bien Toscanini
il oublie le marché de l'art
et les faux pas dans l'infini
il saute à deux pieds dans la flaque:
-je suis vivant je suis vivant
je suis un homme et un enfant
un papillon rouge insomniaque
-je sais le malheur d'être né
je sais le bonheur d'être libre
plus utile est d'imaginer
comment tenir en équilibre
demain nous montre une intention
un graffiti sur l'autre rive
Libérez l'Océan et Vive
le Rêve et la Révolution
refermant un bouquin de Freud
maman se tranche un doigt entier
-moi moi je suis un vrai salaud
articule un des personnages
il est recouvert aussitôt
par le non-dit d'un ocre rouge
une échelle oubliée conduit
tous les rats vers une cathédrale
château de cartes inachevé
comptant quatorze courants d'air
nous le finirons bien un jour
-dit le valet de coeur marxiste
l'artiste a changé d'atelier
il expose de la boucherie
un certain nombre de viscères
tous empruntés à la Joconde
et vite rassemblés sans doute
la matière étant fraîche encore
où donc vous croyez-vous ici ?
dans le musée de la marine ?
les uns quittent le vernissage
sous la pluie de la cinquième rue
les autres se demandent soudain
s'il leur manque un morceau du corps...
5
statue nocturne énigme et nostalgie
un dialogue éternel en noir et blanc
il se souvient du combat contre l'ange
il se souvient du Jardin à Sotchi
le jaune immense enchantement d'un peuple
Charahan Surp Nishan l'oiseau sans nom
le tablier brodé d'or de sa mère
ligne et couleur n'ont pas de lois immuables
demain il traversera le silence
qui le sépare encore de quelques maîtres
il prendra la canne de monsieur Cézanne
puis transportant le ciel sur ses épaules
il ira rendre visite à Pablo
Picasso sur le chemin d'un tableau
si je fais de la peinture -dit le peintre
c'est aussi pour tordre le cou du diable
je le connais mieux qu'un voisin de table
qu'on ne me parle pas de ressemblance
ni de connivence avec le malin
ou bien qu'il me montre sur chevalet
le devenir du paysage humain
ce fut un jour de noirceur sur la neige
quand sont parties en fumée vingt-sept toiles
sont retournées au néant vingt-sept toiles
la dramaturgie remplaçait une oeuvre
un détail ou presque au bout du roman
une page annonçait l'irrémédiable
une page à torcher le cul du diable
la fin ou le début de la légende
"Black Angel" dira la biographie
en lui donnant ce nom comme un défi
je ne sais comment lui faire une offrande
sinon avec des mots tout en guirlandes
des décasyllabes plus ou moins beaux
peut-être un refrain peut-être un tombeau
mais comment recréer l'homme et la femme ?
et le monde ? à l'image de quelle image ?
pourquoi donner un titre à l'innommable ?
"Au revoir mes amours" écrira-t-il
sur une toile avec un morceau de craie
les uns ont toujours cru qu'il était russe
les autres sans doute ont lu le journal
6
demain une aube improvisée une aube échafaudage
demain l'amour inventera le nom d'un nouveau monde
demain apparaîtra un nouvel "isme" un nouveau cercle
demain les rats quitteront la cathédrale en vitesse
demain repousseront sans rire les cheveux des ancêtres
demain les vivants mangeront leur douleur dans l'espace
demain un peintre abstrait choisira un très grand format
demain un peintre lyrique choisira une couleur pure
demain à New-York ou dans une grange du Connecticut
demain sur la terre un homme choisira de disparaître
demain donc nulle part la beauté ne restera tranquille
demain une libellule se posera sur un miroir
un instant
vendredi 6 août 2010
Contre-rêve
Un jour de l'an deux mille au bout du monde
Un jour de l'an deux mille au bord du monde
Un jour de l'an deux mille et une images
Un jour de l'an deux mille et une syllabes
Un jour liquide un jour unique un jour sans rime
Contre rêve et marée de l'an mille
Contre l'an deux mille et sa logorrhée
Vers la jetée du port à contre-jour
Des millions de diamants vous improvisent
Un air de jazz un concert pour qui veut
Là-haut dans le ciel comme en contrebande
Un deux trois quatre vols de goélands
Le cliquetis des mâts propose un rythme
Vers la jetée du siècle en contresens
Plus loin sur la plage un public distrait
Un chien se plaît à rapporter les vagues
Un nuage un seul c'est la contrebasse
Qui joue pour l'instant le thème en violet
Un reflet sanglant sur le sable humide
Il n'a pas envie de me contredire
Ni tous ces gens et leur peau leur histoire
Un soir de l'an deux mille et un détails
Le vent tourne la page à contretemps
La symphonie devient cérémonie
Je pars avant que le soleil se couche
Avant le romantisme en contre-chant
Le long solo de trombone à coulisse
Le solo lisse de trombone en couleurs
Je monte une à une les contremarches
Laissant l'infini tracer l'horizon
Des voix que je ne connais pas résonnent
Polyphonie mouvante en contrepoint
Et leur mélancolie ad libitum
Annonce à qui voudra un millénaire
Un air de contre-monde et caetera...
(août 2000)
jeudi 5 août 2010
Au balcon...
—Conte perdu puis retrouvé—
1
Quelneuc Noyal ou Inzinzac
Tréhoranteuc ou Malensac
En entendant ces noms sévères
L'envie de me passer au cou
La corde et d'oublier beaucoup
La Bretagne aux nombreux calvaires
Et la terre et la mer sans âge
Toujours minées de paysages
Au plus lointain de mon enfance
Sur les chemins de l'insouciance
La bonté souvent se montrait
Vêtue de noir ecclésiastique
Et les cailloux très granitiques
Ne blessaient que les pieds distraits
Des romanichels tous voleurs
De draps quand minuit sonnait l'heure
Alors est-ce un conte ou un songe
A l'orée du Bois des Mensonges
La rencontre d'un loup blessé
Et d'une pluie d'été très fine
Une lettre à l'encre de Chine
Fut retrouvée dans un fossé
Ou dans un meuble en bois de rose
Littérature ou bien névrose
La lettre en partie délavée
Parlait d'un coeur inachevé
D'un amour pur entre les lignes
Comme entre les roseaux et non
D'un crime qui avait pour nom
L'illisibilité des signes
La forêt mouvante et mauvâtre
Etait un décor de théâtre
Sur la scène et son vieux parquet
-Côté privé- on remarquait
Les comédiens leurs soliloques
Se rencontrant au quotidien
Se ressemblant tant mal que bien
Comme à côté de leur époque
La lune bancale et plombée
-Côté public-allait tomber
Cependant les années passaient
Et l'enfant le roi grandissait
Dans un royaume où l'aventure
Se chevauchait à l'imparfait
Comme si rien d'autre en effet
Hormis l'odeur de pourriture
N'eut été plus réel plus vrai
Que le temps marqué par des traits...
2
Plus tard il y eut un voyage
Une expédition sans bagage
L'innommable pour horizon
Comment qualifier l'aventure
D'accompagner ce qui ne dure
Pas plus longtemps que la raison
Je me souviens du nom d'une île
Et d'une tache indélébile
Quatre années de navigation
N'ont laissé qu'un fait d'exception
On lit dans le journal de bord
Qu'un oiseau de vaste envergure
Vint s'enserrer dans la mâture
Un jour de houle et de vent fort
Sa blancheur était si étrange
Que tous nous crûmes voir un ange
Mais nos manoeuvres conjuguées
Nos nombreux efforts prodigués
Bien loin de lui porter secours
L'emprisonnèrent davantage
Dans le hauban et les cordages
Comme l'amour dans un discours
Nous ne décrirons pas la lutte
Ni la cruauté de la chute
Pendant des jours des mois entiers
Nous tentâmes de nettoyer
Le sang sur le pont du navire
Que cela fût ou non écrit
Toujours nous entendions un cri
Dans les embruns et le délire
Le sel des larmes remplaçait
Le réel et ce qu'on en sait
On sait que plusieurs millénaires
Sur mer ont été nécessaires
Pour tracer infailliblement
Le détail des cartes marines
Pourtant depuis les origines
Du langage et des sentiments
Nous ne connaissons pas le tour
De nous-même et tous les contours
La vie est peut-être un acompte
Laissé dans la marge d'un conte
Et toi l'inconnu que sais-tu
Du malheur au parfum de soufre
Que sais-tu du rire des gouffres
Toi qui liras cet impromptu
La main posée comme un présage
Sur la moitié de ton visage
Inscription à :
Articles (Atom)